mercredi 4 avril 2012

Du mauvais usage du Storytelling en politique.

POINT DE VUE


Avant propos :
La campagne électorale battant son plein, voici un article en forme de critique du storytelling en politique.  Vous n’y trouverez pas des exemples de ce qui se passent en ce moment, ce blog n’étant pas une vitrine militante. Mais il me semble important de partager une vision critique d’un outil que je trouve passionnant et  que j’utilise dans mon travail mais qui peut s’avérer contre productif voir dangereux lorsque l’on en abuse en politique.
L'exercice de l'Etat de Pierre Schoeller (2011)
Beaucoup s’accordent à dire que pour attirer l’attention, aujourd’hui, il est indispensable de raconter une histoire. Et cela dans tous les domaines. Quand je dis histoire je ne parle pas d’un format court de type publicitaire, ni d’une campagne pour vendre un objet ou un service, mais bien d’une histoire au long court basée sur les ressorts du récit. Depuis l’antiquité et la tragédie grec aux séries américaines en passant par le roman feuilleton du XIXe siècle tout le monde se passionne pour des récits qui fourmillent de rebondissements, de personnages auxquels il arrive de nombreuses aventures qui, de fait, font évoluer leur psychologie. Ce qui permet de s’attacher à eux et de suivre avec  impatience la suite de leurs actions. La poétique aristotélicienne devient alors un vecteur de vente. C’est ainsi que la sphère publique s’est peu à peu emparée de la forme du récit pour attirer un large public. Dans quel but ?

La structure au service d’une image

Lorsque l’on jette les bases d’une histoire, trois éléments sont indispensables :

1) Quel sujet veut-on aborder et quel point de vue avons-nous sur le dit sujet ?
2) Quel(s) personnage(s) (protagonistes) va être le vecteur de mon sujet, et donc lui fixer un objectif. Et quel personnage va être son antagoniste avec le même objectif ou un objectif contraire ? Afin de créer une dramaturgie.
3) Dans quel environnement je vais situer mon histoire (espace/temps, milieu social, etc.) ?

Pour résumer il faut avoir quelque chose à dire, un personnage qui évolue et porte le propos du ou des auteurs à travers une aventure.  A la fin de l’histoire le protagoniste a soit atteint son objectif, soit raté soit il a renoncé. Mais le plus important (enfin si l’œuvre est un peu ambitieuse) se situe au niveau de l’enjeu du personnage, qu’a-t-il découvert après toute cette aventure ? Quel bouleversement l’a changé ? Quelle évolution est en marche en lui ? Qu’est ce que cette histoire nous apprend sur nous et le monde (Nous pourrions aussi appeler cela la morale). C’est un reflet de la vie, ou comme dirait Aristote une imitation de la vie. C'est exactement ce qui se passe dans le champ politique qui est l’alliance d’homme et de femme et d’idées. Voilà pourquoi il est intéressant de se poser la question : pourquoi en rajouter ? 

L’illusion comme argument de séduction

Personne n’est dupe, le but est simple, il faut séduire un maximum d’électeur et c’est toujours mieux si ces derniers adhèrent au projet qu’on leur propose. Pour cela il faut créer un désir (comme dans le markéting) porté par un « héros » et quoi de plus désirable qu’une belle histoire avec des rebondissements, de l’intime, du pathos et des ennemis. Quitte à mentir ?

Voilà le problème du storytelling en politique. La sphère publique, la chose de la cité est un environnement qui concerne tous les citoyens et la fiction peut rapidement s’avérer une construction mensongère. Ce qui peut être au mieux contre productif au pire un déni de démocratie. Car soyons clair, il n’est pas question ici de vous donner une opinion politique, mais de partir, tout de même, du postulat que l’organisation de la cité, de la nation, de l’économie et du social, doit se faire sur la base de la sincérité et de l’élaboration d’idée à débattre, parfois à partager et enfin à mettre en place. Or nous sommes trop souvent face à des individus dont le seul objectif est d’être élu. Pourquoi faire ?

Des hommes d'influences de Barry Lewinson (1998)

L’objectif sans l’enjeu

Nous avons alors la fâcheuse impression (souvent appuyée par les faits) qu’une fois élus ces individus ne savent pas vraiment quoi faire du pouvoir pour la nation et ceux qui la compose. Comme si l’histoire était terminée alors qu’elle devrait se poursuivre. Mais étant donné que les histoires qu’ils ont raconté n’étaient pas destinées à faire passer leur idées mais plutôt à les vendre eux en tant que personne, alors le scénario se met à hoqueter, bégayer puis à sombrer dans le manichéisme et enfin à n’être plus que du vide. In finé les citoyens se lassent car les saisons de la série se répètent et deviennent caricaturales jusqu’à l’épuisement. Vous pouvez remarquer vous-même que certains d’entre eux ne font même plus attention en disant que leurs objectif est de gagner pour gagner et non pour mettre en place ce qu’ils croient bon pour le pays.

Les idées politiques nous concernent alors que les histoires fabriquées de chacun ne nous concernent pas en dehors d’une consommation émotionnelle de l’instant qui n’a rien à voir avec l’organisation de la cité. Participer à cette exploitation d’image nous rend complice d’une vacuité dangereuse qui compromet notre présent et avenir collectif. 

Le domaine des idées en politique n’est pas compatible avec la l’immédiateté de la consommation et de l’information. Il est donc plus facile d’élaborer un récit qui évoluent au quotidien et qui est porté par un personnage que l’on formate au grès des émotions du citoyen spectateur. Alors qu’il serait tellement plus passionnant et intéressant de construire une storytelling, un univers transmedia au service d’une idée, d’un projet politique afin de susciter le désir de ceux qui sont indispensables par leur adhésion à la réussite du projet.

Alors que le storytelling dans la création tout comme dans le marketing est une technique passionnante dont le consommateur ou l’amateur peut être acteur à la hauteur de l’enjeu, qui s’arrête à la consommation comme au divertissement, dans la politique il nous oblige à être acteur d’une duperie.

Les choses de la cité méritent mieux que cela, nous méritons mieux que des histoires médiocres dont l’élaboration est si grossière que nous avons l’impression que l’on nous prend pour des corniauds, pigeons ou imbéciles.  Nous sommes arrivé à une imitation de la politique, il est temps de changer de paradigme ou de faire évoluer le récit et que les hommes soient au service des idées.

Maintenant l’argument ne doit pas être non plus du pur sophisme :

Thank you for smoking de Jason Reitman (2005)

Post scriptum : J’ajouterais que la politique a toujours utiliser des techniques de récits, souvent pour diffamer ou dénigrer l’adversaire ou pour embellir pour inventer des évènement pour se faire passer pour des héros jusqu’à revisiter ou même réviser l’histoire. Mais ces époques  étaient celles où la majorité des gens étaient soit superstitieux, soit peu éduqués soit élevés dans des carcans éducatifs, voir les trois. 2012 n’est en rien comparable avec  jadis et occulter la perspicacité des citoyens c’est les ignorer jusqu’à prendre le risque qu’ils fassent eux même l’histoire loin de la fiction et de l’imitation mais bien dans le Drama.


Merci et restez curieux

Matthieu Bernard