lundi 21 novembre 2011

Le transmedia, un nouveau paradigme créatif et économique.

Avant propos

N’étant certainement pas au fait de tout ce qui se fait dans le transmedia et particulièrement outre atlantique je vous livre ma réflexion sur les possibilités ou les problématiques de travail de création et de production ici en France. Ma modeste analyse est issue de mon expérience  d’auteur dans différentes formes de narrations, de stroy architect et des autres métiers (entrepreneur SSII, webmaster, documentaliste, asst com , script docteur) que j’ai pu exercer ainsi que de mon observation et mes échanges avec des producteurs, auteurs, acteur, directeurs d'écriture etc.

Partant du postulat complexe que le transmedia allie des univers narratifs connexes mais différents développés sur des plateformes spécifiques mais complémentaires, il faut définir qui ou quoi pourrait coordonner tout cela. A une nouvelle forme de création un nouveau métier : « le transmedia produceur » comme l’a appelé Jeff Gomez (un des papes du Transmedia, voir ici son site ). Mais qu’est ce que cela pourrait bien devenir?

L’exemple du Showrunner
Ce nouveau métier pourrait se rapprocher d’un autre très répandu aux Etats-Unis mais qui ne l’est pas en France, c’est ce qu’on appelle le showrunner. Pour ceux qui ne connaissent pas un showrunner et un scénariste en chef de série doublé d’un producteur, et souvent (mais pas toujours) il est le créateur de la série. Son travail consiste à chapeauter toute la ligne créatrice de la série, ce qui a pour énorme avantage de rendre la plus part du temps l’univers narratif et visuel cohérent. Mais il est aussi une sorte de producteur exécutif ce qui veut dire qu’il a autorité sur la production et qu’il est responsable du fonctionnement quotidien de la série. Si ce métier n’existe pas en France (nonobstant dans le cinéma ou un réalisateur et parfois producteur, ou dans le théâtre où l’on produit souvent sa propre création), c’est avant tout une question culturelle. Ici l’Auteur est seul dans son coin son esprit est envahit de mondes  et de personnages étranges, il est ingérable et son égo est surdimensionné. Le Producteur lui a les pieds sur terre, il est responsable mais sans capacité de sublimer. Quand au Diffuseur il croit savoir et connaitre les attentes et le désir du public tout en pensant qu’il est aussi un créateur. Whaou ! Bon je caricature un tout petit peu, un peu beaucoup, quoique ? J. Donc culturelle disais-je, mais aussi une question de droit et en premier lieux le sacro saint droit d’auteur.

Repréciser les rôles
Beaucoup de scénaristes en France adorent les séries américaines et rêveraient de pouvoir faire la même chose ici en y mettant naturellement nos points de vue hexagonaux. Mais combien seraient prêts à partager ses droits d’auteur ? Car les séries américaines sont en majorité écrites par des pools d’auteurs. Quelques producteurs aimeraient produire ce type d’histoires de qualité, même avec de moindres moyens, mais combiens sont près à payer une somme plus importante pour l’écriture, pour le travail en amont, le suivit éditorial et créatif à flux tendu? Or on peut comprendre qu’ils soient méfiants étant donné que ce travail risque d’être remis en cause en aval par le diffuseur. Ce dernier rêve de séries qui pourraient fédérer un public, d’avoir un relais qualité dans la presse, tout en créant des communautés autour de la fiction, qu’elle-même deviennent un moteur économique pour des produits dérivés par exemple. Mais combien sont près à laisser la créativité s’exprimer, combien sont près à faire confiance aux auteurs et aux réalisateurs? Et surtout combien sont prêts à accepter qu’on ne peut pas plaire à tout le monde qu’on doit prendre le risque de déplaire pour susciter par ailleurs de l’enthousiasme ?
Aujourd’hui avec l’avènement de la TNT puis d’internet et l’arrivée sur le marché de nouvelles générations de créateurs et de décideurs (ceux nés dans les années 70, 80 et 90) les modes de consommations et les références culturelles ont énormément évoluées. C’est pourquoi je pense qu’en France on ne s’épargnera pas un bouleversement dans la manière non seulement de travailler mais aussi de rémunérer la création et j’espère que certains producteur, créateurs, dirigeant issues des années 50 et 60 sauront transmettre leur savoir tout comme être des moteurs de ces changements à venir, car la narration depuis l'invention du roman et du feuilleton par les écrivains français au XIXe siècle n'est l'apanage d'aucune génération.

Qui pour chapeauter un projet ?
Prenons la notion de Story architect ou d’urbaniste d’histoires dont je parlais dans mon précédent billet (A ce propos je voudrais remercier Jean Pierre pour ses remarques et encouragements). On peut à la base imaginer et conceptualiser un univers, c’est le travail de tout auteur, mais par la suite nous serions bien incapables, faute de temps et de moyens de développer cet univers sur tous les supports qui vont véhiculer les différentes narrations. Il nous faut créer des liens et des passerelles entre les métiers. Pour cela le producteur, ou l’agence ont les compétences idoines, mais pour rester en cohérence avec l’univers de départ et surtout son fonctionnement l’architecte doit pouvoir intégrer toutes les contraintes qui vont se dresser sur le chemin de la production et donc travailler en étroite collaboration avec le producteur. Je pense qu’investir son temps comme investir par la suite une partie de ses droits dans le projet en cours ferait de l’auteur non pas un simple créateur qui navigue dans des sphères de pure fictions mais aussi un entrepreneur. De son côté le producteur tiendrait plus en compte de la cohérence du projet car le risque serait partagé avec l’auteur. L'argent reste le nerf, le remède, la cause mais il n'empêche pas la poésie ;-).
Je ne dis pas qu’il faut mélanger les métiers, je pense seulement qu’il faut que le travail s’articule autour du projet, du concept, de l’œuvre en tenant compte de l’univers créatif et des visions économique de la production, cela doit être plus imbriqué. Ainsi nous pourrions articuler la narration non pas uniquement par les désirs ou les contraintes mais que les uns soient au service des autres et vice versa. 

Partager, collaborer, libérer.
Lorsqu’un nouveau métier apparait et encore plus lorsqu’il est issu de la création ceux qui veulent participer à sa construction deviennent de facto des autodidactes. J’entends par là que chacun avec son savoir et les connaissances de son métier en vient à réapprendre, à réinventer son propre travail et donc aussi à penser et à participer autrement à l’organisation et au model économique de ce nouveau métier. Partager, collaborer et libérer doivent être en quelque sorte le  socle de ce nouveau paradigme créatif et économique. Partager les droits d’auteurs comme partager les responsabilités de production. Partager les expériences et les connaissances de différents métiers lorsque l’on crée un univers et un concept ad hoc. Collaborer avec d’autres concepteurs, d’autres créateurs, d’autres techniciens, d’autres décideurs, d’autres modèles économiques. Et enfin libérer les talents et ne pas avoir peur qu’ils s’expriment aussi à travers les utilisateurs, les clients, les spectateurs, les joueurs qui vont participer à l’univers mise en place. Ceci doit nous amener à nous interroger sur l’égo.

Je comprends que tout cela puisse être inquiétant à cause de la remise en question de certaines pratiques et habitudes mais je crois que nous y avons tous à y gagner.

La semaine prochaine je présenterais l’idée d’un univers narratif qui pourrait se développer en transmedia, en commençant par poser l’idée de départ puis y apporter les bonnes questions, avant de penser au réponses adéquates. Et si certains sont intéressés chacun pourra y apporter sa contribution autant créative que technique.

Merci et restez curieux

Matthieu Bernard

Ps : A propos de la mise en abyme (ou abîme clin d'oeil à un producteur plein de volonté) du papier de la semaine dernière voici un petit bijou d’un film de mise en abîme avec un des plans séquences d’ouverture les plus incroyable du cinéma : The Player de Rober Altman :
The Player - Robert Altman par LTT

lundi 7 novembre 2011

Le transmedia une mise en abyme médiatique

Le transmedia, c’est quoi ce truc ? Un groupe de communication dédié au troisième sexe ? Non, alors qu’est ce que c’est ?
Pour faire simple prenons la définition inscrite dans le Transmedia Lab. :
« Le Transmedia consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs media en différenciant le contenu développé les capacités d’interaction (engagement) en fonction des spécificités de chaque media. A la différence du crossmedia ou du plurimedia qui décline un contenu principal sur des medias complémentaires, le transmedia exige un récit spécifique sur chaque media et donne la possibilité au public d’utiliser différents points d’entrée dans l’histoire (circulation de l’audience). »

Du scénario à l’urbanisme

Le transmedia permet donc de raconter des histoires sur différents supports ayant chacune leurs propres spécificités mais pouvant interagir entre elles. Se lancer dans une telle entreprise implique donc d’être capable d’avoir une vision globale du projet. On parle de story architect, mais je pense que le terme devrait être plus vaste, on pourrait parler en français d’urbaniste d’histoire, à l’instar d’une ville où chaque lieu, public ou privé a sa propre organisation et ses propres histoires mais chacun évolue grâce aux autres et doit s’organiser autant de manière géographique qu’architecturale.

Prenons un exemple :
A Story_ville il y a une école, une mairie, un stade de foot, une entreprise de traitement des déchets, une radio, un journal, des commerçants, des blogueurs et un club de danse. Chaque entité produit ses propres évènements et ses propres histoires. A l’école Arthur le fils d’Eva vient de gagner le concours de toupies Beyblades à la pause de midi. Romane sa challengeuse est désespérée de cette défaite d’autant qu’elle a perdue sa meilleure toupie dans l’affaire et qu’elle n’a pas d’argent pour en acheter une nouvelle pour prendre sa revanche. Ludovic le père de Romane travaille comme employé municipal, il s’occupe du budget environnement de la commune et il a fort à faire avec Garbage Inc. la société de traitement de la ville qui refuse de baisser ses coûts de fonctionnement, cela risque d’augmenter les impôts de la ville et mécaniquement de baisser les subvention culturelles. Eva la mère d’Arthur et la fille de Pierre préside l’association de danse de la ville, elle cherche une nouvelle salle pour ses adhérents la précédente venant d’être annexée par le stade pour en faire des vestiaires. Samir le marchant de presse vend  un peu de tout dans son échoppe,  il vient d’ailleurs de recevoir les dernières toupies Beyblade et il est persuadé qu’elles vont se vendre comme des petits pains et cela malgré la chronique de Laurent ce matin sur Radio Story_ville. Laurent a passé la nuit à lire les blogs des habitants de sa ville et il s’est rendu à l’évidence : il y a une grande inquiétude chez de nombreux parents, les toupies Beyblades accaparent beaucoup trop leur rejetons et ça fait plein d’histoires entre les gamins qui finissent par envenimer les relations entre les parents. Pierre le père d’Eva, vient encore d’écrire au maire pour que ce dernier organise une réunion entre les citoyens pour parler du projet de nouveau rond point dans le centre ville. Pierre adore écrire au maire, comme à la radio, et ouvrir des blogs anonymes à ses heures perdues. Et du temps Pierre en a, il est à la retraite, c’est d’ailleurs la personne la plus active de Story_ville. Le soir lorsqu’Arthur son petit fils lui annonce qu’il vient de battre Romane la meilleure lanceuse de toupie de l’école, Pierre est aux anges, comme à chacune de ses victoires son petit fils lui donne le trophée contre un billet de 10 euros. Le trophée ira directement dans les incinérateurs de Garbage Inc., tandis que Pierre continuera à écrire sur son blog anonyme l’histoire de sa ville et les méfaits des toupies sur les enfants qui feraient mieux d’aller danser au stade de foot. Etc.

Un tas d’histoires personnelles puis globales sont donc possibles et évolutives, mais nous pouvons remarquer que le plus important est à la fois l’univers dans lequel se déroulent les histoires mais peut être plus encore les personnages qui le peuplent, ce sont eux qui vont créer une adhésion ou pas (mon exemple de Story_ville ne pourrait certainement pas en créer tant les personnages manque là de profondeur J mais ce n’est pas le propos). Et ces personnages ont tous des « backstory », les backstory sont très importantes car elles permettent de densifier au fur et à mesure les personnages et de distiller des informations qui vont enrichir le contenu et la pérennité des histoires

Tirer profit des œuvres passées
A l’instar de Short Cuts, D’amour chienne, ou encore de The hours les films chorale déclinent des histoires différentes mais qui finissent par interagir ensemble, il y a un lien. Le transmedia est comme Story_ville ou Short cuts, c’est une série d’histoires qui ont leur propre support mais qui ont un lien entre elle, le lien c’est le monde dans lequel elles évoluent. Mais il y a une donnée supplémentaire, et pas des moindres, c’est la possibilité pour le télé_web_lecteur_spectateur_joueur d’agir dans une des histoires voir de rencontrer réellement ou/et virtuellement un autre qui agit lui aussi sur une autre histoire et les deux peuvent être des acteurs-joueurs d’un ARG dont les ramifications s’étendent jusque dans les univers narratifs de chacun et de bien d’autres encore.
Bref le champ des possibles est infini. Car comme lorsqu’on lit un roman, on se l’approprie. Certes l’auteur a écrit une histoire sortie de son imagination, c’est son histoire, ses personnages, son drama, ses émotions et ses interprétations, et pourtant lorsqu’on la lit elle devient notre avec nos projections, notre affectif et notre propre imaginaire (qui s’est lui-même construit à travers notre propre histoire, rencontres et lectures précédentes). Le transmedia permet cela à la fois dans le virtuel et dans le réel, dans la vie et dans la fantaisie. On pourrait alors imaginer que le paroxysme de cette narration serait de ne plus distinguer la réalité de la fiction, à l’instar des romans de Philip K.Dick la frontière entre illusion, fantasme et réalité n’existerait plus. Voilà une réflexion vertigineuse pour philosophes et psychologues.

La mise en abyme comme moteur du story world.
Nous voyons bien que pour penser transmedia il faut donc être capable d’être un architecte, d’être un urbaniste et d’être un scénariste. Il faut aussi penser résonnance et échos, même si les supports et les histoires sont différents ces dernières vont résonner entre elles et cela grâce au drama (à l’action) des personnages qui les composent.

Peut-on dire alors que le transmedia rejoint un procédé artistique bien connu « la mise en abyme » ?

De Proust à John Irving en passant par André Gide beaucoup d’auteurs de littérature ont utilisé ce procédé, comme en cinéma The Player d’Altman, la Nuit Américaine de Truffaut, Sueur Froide d’Hitchcock, The Game de Fincher et j’en passe. Ce procédé qui consiste à raconter un récit à l’intérieur même du récit utilise qu’un seul média mais décline des histoires dans l’histoire qui vont interagir sur l’histoire.
Il ya de la mise en abyme et une frontière poreuse entre illusion et réalité fictionnée. Si je devais retenir un film et un livre, les plus significatifs à mon avis seraient:
- « Le limier » (1972) le film chef d’œuvre de Mankiewicz qui réussit l’exploit de mettre en abyme le théâtre dans un film issue d’une pièce de théâtre, de créditer au générique 6 acteurs et actrices alors qu’il y en a que deux dont l’un incarne un auteur de polar. Le château dans lequel se déroule l’action est décoré avec des trompe-l’œil, et l’histoire se construit selon le scénario d’un des personnages qui est avide d’énigme et de mystification, enfin ce processus fini par intégrer le spectateur dans le drame qui se déroule devant lui. Euh vous me suivez? :-)

- Le livre « Le maître du Haut Château » (1962) de Philip K.Dick ce chef d’œuvre de la science fiction annonce une révolution narrative. Le pitch est simple alors que l’architecture de l’histoire est très complexe. Pour résumer : ce ne sont pas les Alliés qui ont gagné la Seconde Guerre Mondiale mais les forces de l’Axe, la Californie est désormais administrée par les japonais. Roman chorale ont découvre plusieurs personnages avec leur propres histoires, toutes ces histoires se croisent sans se rencontrer, mais une chose les lient entre elles : un roman qui est entrain de s’écrire « La Sauterelle » roman qui raconte que l’Axe n’a jamais gagné la guerre mais que se sont bien les Alliés les vainqueurs. En bref nous lisons un livre qui raconte une uchronie (le fait de changer réécrire l’histoire en modifiant un évènement du passé) mais dont un autre livre dans l’histoire raconte la réalité telle qu’on la connait. Vous suivez toujours? ;-)




De l’intérieur à l’extérieur


Pour conclure je dirais que quelque soit le projet transmedia à architecturer, il faut penser supports:
Internet / Audiovisuel / Cinéma / Editions / Photographie/ Spectacles vivants / Evénementiel / BD / Mobiles. Et contenus à deux niveaux :
      1Narratif : romans, nouvelles, articles, film, vidéo, teaser etc.
      2Interaction : jeu, évènementiel, création-participative.
Et être capable d’intégrer la place du hasard, ce qui ne se maîtrise pas, ce qui vous échappe. Evidement tout ceci doit être pensé en amont mais après que vous ayez défini l’objectif du projet, s’il est purement artistique, s’il est commercial, ou les deux à la fois J
J’ajouterais qu’un projet déclinant des histoires indépendantes sur différents supports est construit sur l’intériorité, sur ce qui se passe dans chaque contenant et ce projet doit se projeter ensuite vers l’extérieur qui sera le moteur de l’intéraction entre les différentes histoires et éléments. Pour paraphraser Hegel ou pourrait dire : « Un intérieur qui n'aurait pas d'extérieur ne serait même pas un intérieur ».

Ainsi il faut penser à laisser une place ne se serait-ce qu’infime dans chaque module créatifs à l'un des autres ou à tous les autres modules ce qui rendra la mise en abyme, la subtilité et la durée de vie de votre projet encore plus vastes. 

Enfin, il faut penser équipe. C’est une œuvre avant tout collective.

Et maintenant place à l’imaginaire et à la coopération.



Merci et restez curieux

Matthieu Bernard

mercredi 2 novembre 2011

Intuition et veille sociétale

"On tient pour suspectes l'induction et l'intuition ; l'induction, le grand organe de la logique ; l'intuition, le grand organe de la conscience."
Victor Hugo in préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie Proses philosophiques de 1860-65

"La veille constitue une véritable force dans les entreprises dans la mesure où elle traduit une redoutable capacité à anticiper l'avenir" nous explique Daniel Rouach dans « La Veille technologique et l'intelligence économique » ( Ed PUF). Le professeur d’ESCP Europe parle ici de la veille technologique, concurrentielle et économique, mais il pourrait tout autant parler de la veille sociétale, de plus en plus importante aujourd’hui en particulier dans le monde du WEB 2.0. Voici donc mon point de vue personnel sur cette veille bien particulière.

Veiller c’est prévoir…

Entendons nous bien, il ne s’agit pas ici de faire un cours ni de donner tous les outils parfois complexes pour établir ce type de veille (que vous trouverez dans beaucoup d’endroits sur la toile), mais plutôt de parler de ce qui ne se quantifie pas scientifiquement, c'est-à-dire : l’Intuition.

La veille sociétale sur la toile nous apprend sur les comportements et les désirs de tout à chacun, c'est à dire  les individus qui eux même sont influencés et parfois influençables et influencent à leur tour leurs congénères par le biais de « communauté » qui dans leur ensemble implique nous tous (nonobstant les rares ermites et anachorètes des temps modernes).
Ces communautés se forment d’individus qui y adhèrent selon trois principes que l’on pourrait qualifier d’axiomes  sociétales du web 2.0 : 1) le milieu social et éducatif 2) l’interrogation sur soi 3) l’influence médiatique et artistique, tout cela dans le désir de communiquer et de partager. Ces trois axiomes sont tous liés les uns aux autres, le milieu social et éducatif structure une grande parti de notre individu, on y adhère de facto puis on peut s’y opposer lors de notre évolution ce qui entraîne l’interrogation sur soi, soit pour trouver des solutions à ses problématiques internes soit pour être conforté dans ce que l’on ressent ou ce que l’on désir. Enfin l’influence médiatique et artistique joue sur les deux premiers axiomes elle apporte un savoir parfois différent que celui éducatif (média) et elle interroge de manière esthétique et sensible le soi tout en ayant de l’influence sur l’avenir (l’artistique).  C’est ainsi que les individus se greffent et s’influencent les uns les autres, tantôt pour créer et organiser une communauté de passionnés (qui peut englober des domaines aussi vaste que la bouture des rosiers jusqu’au championnats nord américains de hockey sur glace ou sur la fabrication de montre mécanique dans le Valais Suisse) ou des communautés politique (afin d’échanger et d’organiser des actions en accords avec ses convictions), religieuses, mais aussi de consommateurs, d’associations, de scientifiques en herbes etc. Le champ est vaste et infini. Pour une entreprise privée comme pour un service publique, une association ou un parti politique il est important d’étudier ces phénomènes, comprendre leur mécanismes, leurs fluctuations et leurs évolutions pour in fine anticiper.

De l’intuition

Il existe de nombreux outils, méthodes et techniques pour faire de la veille sociétale, et il en existera de plus en plus grâce à la technologie comme les logiciels doués d’intelligence artificielle qui sont de plus en plus complexe. Mais une chose ne s’apprendra jamais c’est l’intuition.
L’intuition se forge sur une vision empirique, une capacité de discernement, une perception, un rapport empathique avec l’autre et par extension avec les communautés puis l’humain dans son ensemble. Je ne parle pas ici de prophètes ni de voyants, mais plutôt d’une sensibilité qui vous fait dire « ceci va s’amplifier » « cela va s’enraciner » « il y a une place, une ouverture pour ceci » etc. Il n'y a aucune école pour apprendre l'intuition, comme pour apprendre à être écrivain, il ne s'agit pas ici de technique. Pour écrire il faut lire et relire et réécrire, pour se forger des intuitions sur des comportements sociétaux il faut écouter; lire, regarder, échanger et sentir.

Faut-il organiser sa veille selon son intuition ou forger celle-ci suite à une veille ?

L’œuf ou la poule ? Les deux mon Colomb ! Et c’est là que réside toute la subtilité. Je pense qu’une veille ciblée et organisée en amont permet de cerner les tendances, d’analyser les comportements, et grâce aux données récoltées permettre de se forger une intuition sur ce qui peut se passer dans des domaines aussi vaste que les tendances de mode, les désirs technologiques, les comportements alimentaires, ou les perceptions politiques. Mais il arrive aussi souvent que nous ayons une intuition suite à une conversation, à la lecture d’un article, au visionnage d’un film, en regardant une émission, en assistant à une représentation au théâtre, en visitant une expo, en écoutant un morceau de musique, en surfant sur la toile, en discutant autour d’un verre ou dans l’espace virtuel. Et il me semble que cette intuition bien que peu nourrie par des techniques d'observation et de recherche est souvent l’intuition la plus juste. Si vous êtes arrivé jusque ici vous pouvez raisonnablement vous dire que « c’est certainement le point de vue le plus irrationnel de cet article », je le conçois, et pourtant d’Aristote en philosophie puis Descartes et Kant, jusqu’à Steve Jobs pour la technologie où même Denis Jeambar pour l’intuition politique, en passant par Luitzen Egbertus Jan Brouwer pour les mathématiques, tous ont eu des intuitions liées à leur capacité à ressentir l’air du temps à comprendre entre les lignes et surtout à oser l’affirmer, à prendre ce risque. Cette liste hétéroclite de personne n’est pas exhaustive en réalité elle est immensément plus vaste, elle montre seulement que la capacité d’intuition se trouve dans des personnes de milieux et de compétences fort différents. Mais ils ont au moins cinq capacités communes. Une grande culture générale, une forte curiosité, une empathie avec les autres, un lien avec l’imaginaire et certainement une capacité à se décentrer tout en captant et en ressentant des signaux qui semblent invisibles.

Tic tac tic tac...

Ainsi nous pourrions conclure qu’une bonne veille sociétale doit allier la technique, les outils, l’expérience et sa propre intuition, elle-même alimentée par sa culture, son empathie, son imagination créatrice et son désir d’anticiper. N’oublions pas que la notion de temps est primordiale, et malgré tous les outils modernes, toutes les formations enseignées il n’y a jamais assez de temps pour se forger des certitudes, c’est pourquoi oser faire confiance en son intuition, même si elle ne vous offre pas toutes les garanties, vous fera gagner toujours un temps précieux.

Merci et restez curieux…

Matthieu Bernard

PS : Dans le prochain article je vous parlerais d’un exemple d’intuition assez significatif entre la création et la résonnance avec son époque. Puis le Blog du Viatique lancera un concours ludique sur trois thèmes que chacun pourra nourrir de son intuition, comme des paris sur le proche avenir. Et enfin nous aborderons l'alliance entre la veille et la création et les possibilités vertigineuses qu'offrent le transmedia.